De lécrivain Georges Henein, né au Caire en 1914, on ne connaissait pratiquement rien, ses uvres demeurant introuvables. Cet ami de Michaux, de Breton et de Bonnefoy est republié par Denoël et loccasion nous est donnée de découvrir un poète et un polémiste à la voix anticonformiste et humaniste. Henein tient une place charnière dans le paysage littéraire français du XXe siècle, il a su créer un pont entre lOccident et lOrient. Fils dun Copte et dune Italienne élevé au Caire, parlant langlais, litalien, le français et larabe, voyageant beaucoup, il introduit le surréalisme en Egypte par le biais de revues davant-garde avant dêtre contraint de sexiler en Europe en 1962, à cause de ses positions antifascistes. Discret, il publie peu, jusquà sa mort en 1973 à Paris, mais se fait connaître par ses activités de journaliste (pour LExpress). Sa poésie descriptive, dans la meilleure veine surréaliste, « alimentée par le rêve, lhallucination et les coïncidences prodigieuses que distribue le hasard » (Bilan du mouvement surréaliste), a un peu du pouvoir dagression de Rimbaud, de lhumour de Jarry, du don dassociation poétique de Lautréamont, les trois piliers fondateurs revendiqués par le surréalisme. Capable de moments de pure beauté, elle redonne leur pouvoir de séduction aux mots : « il y a sur une certaine table/un objet qui sourit à travers tous les sommeils du monde/cest un visage/jamais aperçu/jamais oublié/un visage que berce/linfinissable neige du souvenir. » (Suicide provisoire).{...}
Julien Burri, paru dans le 24 Heures du 28 mars 2006
Le
fait accompli
Une fois assurés de leur impureté
les êtres acceptent le chant du rossignol.
Ils s'attendrissent alors sur ce qui fut
ou qui sera
et sur la fragilité du désert qu'ils se forgent
Ils désignent les choses par leur vertu d'absence
la lumière, par le sillage de l'aveugle
l'amour, par un oreiller
dont la tête est ailleurs
la joie, par une banlieur brisée.
Ils ont levé depuis longtemps
le pont-levis de leur nuit blanche
et leur emblème se confond
avec leur dernier bien :
_ un soupson d'infini
dansun coeur corrompu.
(La Force de saluer, 1978)
{ ...}
Au lendemain de la guerre. G. Henein et R. Younane, peintre du groupe sexilent
en France, la situation politique de lÉgypte étant devenue
très difficile pour les intellectuels en marge. On comprend mieux à
travers ces faits, expulsions, exils, retours forcés, le souci dinternationaliser
le mouvement.
En 1947, Henein, Sarane Alexandrian et Henri Pastoureau créent le bureau
international « Cause » ; Henein et Younane signent « Rupture
inaugurale » en juin 1947 ; en avril 1947, signature dun autre
tract « Liberté est un mot vietnamien » contre la guerre
dIndochine et lattitude des communistes jugée « colonialiste
» [5] ; en juin 1948 « À la niche les glapisseurs de dieu
» contre les tentatives de récupération chrétienne.
Mais ces signatures se font avec quelques réticences. Lors de la rédaction
de « Rupture inaugurale », Henein regrette que Breton ait refusé,
comme il le suggérait avec Younane, de « passer au crible des
notions telles que ýdictature du prolétariatý, ýrévolution permanenteý,
ýconscience de classeý, etc., déjà sérieusement malmenées
par lhistoire » [6]. Henein reproche à Breton de préférer
les expositions « de parade » à ce quil a toujours
considéré comme le plus important, à savoir « la
consultation générale des surréalistes dans le monde
» et de ne pas avoir analysé avec suffisamment de rigueur et
douverture desprit la situation du surréalisme daprès-guerre
en tenant compte des événements extérieurs au surréalisme.
{....} Il réaffirme son soutien à Trotsky et ses affinités
avec une attitude anarchiste qui lui paraît être, dans ces temps
de véritable chaos politique, la meilleure solution. Il ne suffit pas
de sinsurger contre comme le fait Breton, mais de faire le bilan sérieux
dun mouvement que la guerre a contribué à changer. Dans
une autre lettre datée du 11 juillet 1948 , Henein déclare quil
sapprête à créer au Caire avec Mounir Hafiz une
revue « Septentrion » qui sera une critique du surréalisme
du dedans. Cest dans cette lettre quil condamne le « préjugé
anti-littéraire » qui fait que les surréalistes ignorent
Montherlant ou Jünger. Le 26 juillet 1948, cest la rupture.
{...}
Anne Vauclair paru dans SKLUNK
http://www.sklunk.net/GEORGES-HENEIN,398K
Oeuvres Georges Henein
Ed. Denoël, 1062 pp - Edition établie par Pierre Vilar