Contemporain de René Magritte, Louis Scutenaire, Marcel Lecomte, Marcel Mariën et de nombreux autres avec qui il forma le groupe surréaliste belge dont il fut le théoricien principal, groupe autonome et bien différent du groupe surréaliste français de la même époque, Paul Nougé aura toute sa vie manifesté sa méfiance pour toute forme de carrière littéraire, jusqu’à contester le fait de prétendre exister par l’écriture, refusant la valorisation du moi littéraire .
Il aura fallu lui forcer la main pour lui faire accepter, assez tard dans sa vie, la mise sous presse du plus clair de ses écrits .Lorsqu’il lui arrivait d’écrire, c’était « pour déranger le lecteur, pour troubler ses petites habitudes, pour le livrer à lui-même ».
Par ailleurs, il n’avait pas le goût de la confession : « les miroirs sont de terribles juges, un regard au passage et nous voilà prisonniers à jamais. » disait-il . Il refusait la confidence. Il ajoutait même « ce qui me plait de vous livrer, ce qui véritablement vous regarde, j’entends que se soit cela même que je dirige vers vous, contre vous sur quoi je compte vous mener là où je souhaiterais vous voir et vers quoi je m’avance vers vous. »
Je vous propose pour la soirée du 29 janvier, à l’inverse, que ce soit à nous de choisir de nous avancer vers Paul Nougé, d’aller à sa rencontre en parcourant à notre gré son œuvre, par la lecture de plusieurs de ses écrits tant poétiques que critiques et théoriques .
Pourquoi aller aujourd’hui à la (re)découverte de Paul Nougé ? Parce que depuis l’époque du surréalisme belge le monde n’a guère changé, s’enfonçant toujours plus dans l’affreuse nuit de l’indifférence.
« Le monde, autour de nous, semble se rétrécir, tendre vers un système gris et noir où, sur les choses, l’emportent les signes. Il s’agit donc toujours pour nous de restituer à ce monde son éclat, sa couleur, sa force de provocation, son charme et, pour tout dire, ses possibilités de combinaisons imprévisibles …tout reste fondé sur le défi et la révolte….Le « donné » est, sera toujours inacceptable. » écrivait –il, menant constamment guérilla. Et d’ajouter : « Il s’agit, il s’agira toujours de comprendre le monde --( nos constructions mentales et matérielles, nos désirs, nos souvenirs, notre avenir, notre pensée .En bref, dans son décor changeant, la condition humaine )-- à la faveur des transformations que l’homme lui inflige. »
Si nous considérons que le surréalisme est avant tout une attitude de l’esprit , d’où sa transhistoricité, on peut encore aujourd’hui lire avec bénéfice Paul Nougé, d’autant qu’il a ressenti plus que tout autre « le terrible déchirement intérieur qui caractérisera sans doute l’avenir de nous tous. » et que nous aurons sûrement, comme lui, à surmonter « cet état misérable et resplendissant …et à la limite, à l’horizon, à projeter la réconciliation de l’homme avec lui-même . » et puis, si nous le désirons, à nous mettre tout entier au service des possibilités de l’esprit, lequel procède par inventions bouleversantes.
« Tout est toujours possible . », sachant que « l’esprit n’existe qu’à la faveur d’une aventure sans limite, aux mouvements et aux perspectives sans cesse renouvelés, où les dangers que nous discernons et qui, à chaque instant, menacent de la faire tourner court, sont aussi, si nous refusons de nous incliner devant eux, les plus sûrs garants des seules victoires qui nous tentent encore. »
« L’intérieur de votre tête n’est pas cette masse grise et blanche que l’on vous a dite. C’est un paysage de sources et de branches, une maison de feu, mieux encore, la ville miraculeuse qu’il vous plaira d’inventer . »
Jean-Luc Axelrad (janvier 2008) |